La production de Comtoises
1820 - 1890

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Techniquement, une horloge comtoise est très semblable à une horloge d'édifice en miniature. Cependant, nous ne savons ni par qui ni comment l'on est passé de l'une à l'autre. Toujours est-il que la production d'horloges comtoises commence au début du XVIIIe siècle, tout d'abord dans les villages de Morbier et de Bellefontaine. Elle reste à des niveaux modestes jusque dans les années 1820. Puis elle explose pour culminer à plus de 100 000 pièces par an vers 1850. Elle remplace alors presque entièrement l'activité de clouterie qui dominait dans la seconde moitié du XVIIIe siècle.

Morbier et Morez, deux petits villages de quelques milliers d'habitants, avec les paysans-horlogers qui les entourent, réalisent donc une extraordinaire production d'horloges qui vont se répandre dans toute la France et au-delà.

[Source - B0024]

Le mécanisme de la Comtoise

Techniquement, l'horloge comtoise n'est pas sans rappeler les horloges d'édifice à cage.

  • Les rouages sont placés l'un à côté de l'autre (à cage parallèle || ||), l'un pour le mouvement, l'autre pour la sonnerie. Parfois, il existe un rouage pour la sonnerie des quarts.

  • La cage est aérée, avec les deux rouages sur des piliers verticaux. Ceci en facilite l'entretien.

  • Chaque rouage comporte typiquement 4 axes. Le remontage des poids se fait tous les huit jours.

  • L'échappement est à verge et roue de rencontre au XVIIIe siècle, puis à ancre à recul.

  • Les roues sont typiquement en laiton, le reste de l'horloge étant en fer.

  • La sonnerie est à crémaillère et limaçon et donc ne décompte pas.

  • Le balancier marque la seconde.

  • La caisse est soit réalisée dans la région de Morez soit est fabriquée ailleurs, le mécanisme étant installé dans la caisse sur le lieu de vente.

C'est un mécanisme qui est relativement tolérant à l'usure et aux aléas d'une fabrication artisanale.

Les modes de production

Jusqu'au début du XIXe siècle, la production des comtoises reste artisanale et rurale. La division du travail demeure faible, les paysans-horlogers sur laquelle elle repose sachant alors produire entièrement une horloge.

Puis, au cours du XIXe siècle, la production augmente et la division du travail apparaît, avec d'une part des paysans-horlogers de plus en plus spécialisés, d'autre part des établisseurs qui terminent les horloges et en assurent la distribution. Conjointement, les dimensions et formes des pièces se standardisent. Malgré cela, la production de comtoise demeure relativement artisanale, échappant en partie à l'industrialisation telle qu'elle est apparue de façon classique en France entre 1830 et 1870. Ici en effet, la main-d'oeuvre reste chez elle et n'entraîne pas d'exode rural massif, la mécanisation est très relative et les moyens de production ne nécessitent pas de capitaux très importants. Nous parlons dans ce cas de proto-industrie.

«On ne doit pas se représenter l'horlogerie comme une manufacture régulièrement organisée ; chaque chef de famille a son atelier dans son habitation ; quelques-uns ne travaillent que pendant l'hiver. Un travail sans relâche, aidé de moyens et d'adresse, peut produire 30 horloges dans une année ; mais de tel résultats sont rares.» [I0003, 1847, cité par C0029, p. 150]

Notons que cet espace de production est réellement indépendant des zones horlogères suisses. En particulier, dès la seconde moitié du XVIIIe siècle, Morez acquière les compétences nécessaires pour faire des cadrans émaillés ainsi que pour tailler des limes.

De l'artisanat horloger à l'établissage

Au commencement de l'activité horlogère, les paysans-horlogers étaient capables de réaliser entièrement les comtoises, que les négociants se contentaient de vendre un peu partout en France. Mais ce système atteint progressivement deux limites : d'une part, la production stagne ; d'autre part la pression démographique exercée sur les terres incite un nombre croissant de paysans a chercher des revenus complémentaires dans l'horlogerie. Or, ces paysans ne possèdent pas forcément toutes les compétences techniques pour réaliser entièrement une horloge.

La solution réside dans la réorganisation de la production sous l'égide des marchands, avec ce que l'on appelle l'établissage : les paysans-horlogers réalisent des pièces d'horlogerie qui sont ensuite finies, assemblées et réglées dans les ateliers des bourgs de Morbier et Morez. Les paysans-horlogers travaillent donc chez eux, en famille, principalement en hiver, lorsque le travail de la ferme est moins important. Ils vont chercher les matériaux bruts à Morez, les remontent chez eux où ils les travaillent à la forge, la lime, etc., pour en faire les pièces des comtoises. Ils redescendent ensuite le tout à Morez où les horloges sont finies et ajustées. Ces paysans-horlogers fabriquent souvent leurs outils, tels que les limes ou les fraises. Les secrets de fabrique, tels que les recettes sur le trempage de l'acier, étaient jalousement gardés et faisaient la réputation de certains ouvriers. De plus, ils travaillaient sans plan, simplement avec une pièce témoin, c'est à dire une horloge qui sert de référence pour la fabrication de toutes les autres horloges [K0017].

Petit à petit, les tâches de ces paysans-horlogers se spécialisent. En particulier apparaissent d'une part les engreneurs, qui percent les coussinets de laiton des montants, tournent et ajustent les roues, liment les axes pour en extraire les pignons, et d'autre part les placiers qui ajustent les ressorts, leviers et détentes et polissent le tout. De plus, les pièces des comtoises sont standardisées, procurant une plus grande flexibilité dans l'organisation du travail et permettant des gains de productivité. De leur côté, les marchands et négociants de Morbier et Morez se transforment en marchands-fabricants ou établisseurs, qui fournissent la matière première, finissent les horloges et les vendent. Il s'agit d'un schéma classique de proto-industrie avec la sous-traitance d'ateliers citadins envers le monde rural.

Cette organisation du travail permet de diviser le coût de fabrication d'une horloge par six environ [I0003, cité par C0029, p. 169] et d'augmenter la production de façon considérable.

La vie à Morez au temps des horlogers

Morez s'impose dès la fin du XVIIIe siècle comme le bourg central pour l'activité commerciale. La population augmente pour dépasser celle des villages voisins, y compris celle de Morbier à partir de 1830.

Les établisseurs en horlogerie, tout en étant concurrents, coopèrent et dominent la vie sociale de Morez. Leurs liens sont renforcés par des mariages entre familles ou par des sociétés créées en commun. Ils se retrouvent majoritaires dans le conseil municipal de Morez ou dans la «chambre consultative pour les arts et manufactures dans le canton de Morez», créée en 1846.

Au milieu du siècle, environ une trentaine d'établisseurs sont installés à Morez. Ils s'appuient sur quelques dizaines de fournisseurs plus ou moins spécialisés. Ainsi, en 1845, Morez compte 8 fondeurs, dont 6 pour fondre les roues [C0029, p. 186]. La fabrique de pièces en série est effectuée dans de petits ateliers Moreziens utilisant l'énergie hydraulique. Morbier ne profitant pas du cours d'eau de la Bienne, utilise des manèges à chevaux pour faire tourner les fabriques [K0017].

A son paroxysme, le réseau des horlogers-paysans représente quant à lui plusieurs milliers de familles, et s'étend sur une vingtaine de communes des environs de Morez.

«Toutes les maisons des villages, tous les hameaux, toutes les habitations isolées sont des ateliers, des cabinets de mécaniques où le cultivateur intelligent exerce son adresse, et creuse fructueusement l'inépuisable mine de l'industrie, tandis que la neige défend à ses troupeaux de parcourir les monts. [...] C'est l'horlogerie, ce sont les montres, mais surtout les pendules, les horloges et les tournebroches, qui sont les sujets de l'industrie : à Morbier, que vous traversez, à Foncine, à Bellefontaine que vous laissez à l'écart sur la gauche, et dans tous les villages des environs, ce n'est qu'ateliers, que boutiques pendant toute la morte saison».
[J.-M. Lequino, Voyage pittoresque et physico-économique dans le Jura, Paris, 15 frimaire an IX. Cité par C0029, p. 193]

Un réseau de distribution extrêmement dynamique

Les établisseurs n'abandonnent pas à des intermédiaires lointains le transport et la vente des horloges. Au contraire, ce sont des paysans de la région qui sont employés comme rouliers pour assurer la commercialisation des horloges. Ils partent à l'automne vendre les horloges dans toute la France, et reviennent au printemps. Durant leurs voyages, ils règlent et réparent les horloges vendues les années précédentes. Parfois, ils laissent des mouvements en dépôt-vente, dont ils récoltent les gains l'année suivante. Surtout, les établisseurs autorisent les horlogers revendeurs locaux a apposer leurs noms sur les cadrans émaillés. Ceci constitue un argument commercial puissant. Ainsi, de très nombreuses comtoises sont signées d'horlogers locaux, mais proviennent en fait de la région de Morez.

Environ les trois-quarts des exportations Moréziennes semblent se faire vers Lyon et le Midi. De là, elles rejoignent l'Espagne ou le bassin méditerranéen. La Suisse est également une destination privilégiée. Le nord de la France est couvert à partir de Paris. Par contre, les exportations sont limitées vers le nord de l'Europe.

Diversification et passage à la lunetterie

Dans la seconde moitié du XIXe siècle, les horloges bas de gamme en provenance de la Forêt-Noire (Allemagne) exercent une concurrence de plus en plus importante. Pour y faire face, les moréziens tentent une diversification dans la montre, l'émaillerie et l'orfèvrerie, mais sans trop de succès. Par contre, la production de tournebroches prend une certaine ampleur pour atteindre, à son apogée, 30 000 unités par an. De même, la diversification vers d'autres types de pendules, œils-de-bœuf, carillons ou même l'orfèvrerie rencontre un certain succès. Surtout, la production d'horloges d'édifice reprend durant la seconde moitié du XIXe siècle, atteignant une dimension industrielle.

Le déclin commercial de la comtoise intervient dans la seconde moitié du XIXe siècle, alors que les montres bon marché se répandent ainsi que les horloges à moindre coût de type Forêt-Noire ou américaines. De plus, le chemin de fer n'arrive que tardivement à Morez, en 1900, rendant moins compétitive la commercialisation des comtoises pendant toute la période précédente. Surtout, une activité de remplacement plus rentable voit le jour avec la confection des montures de lunette. Celle-ci s'impose progressivement, entre 1850 et 1880, reprenant  la structure proto-industrielle de la production d'horloges, avec ses établisseurs et ses paysans-ouvriers.

 

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Dernière mise à jour de cette page : 11/12/2010